L’arrêt Dame Kirkwood reconnu comme jalon du contrôle de conventionnalité
Le 30 mai 1952, le Conseil d’État rend un arrêt fondateur qui va bouleverser le rapport du droit interne aux engagements internationaux. Il s’agit de la décision Dame Kirkwood, dans laquelle la haute juridiction administrative admet pour la première fois qu’un acte administratif peut être annulé au motif qu’il viole une convention internationale ratifiée par la France.
Une décision d’extradition contestée sur le fondement d’un traité
L’affaire trouve son origine dans une demande d’extradition formulée par les États-Unis à l’encontre de Madame Kirkwood, détenue en France. Un décret d’extradition est pris, que la requérante conteste devant le Conseil d’État. À l’appui de son recours, elle invoque la violation par le décret d’une convention d’extradition liant la France et les États-Unis. Une première dans l’histoire du droit administratif !
Bon à savoir : L’extradition est une procédure par laquelle un État remet une personne se trouvant sur son territoire à un autre État qui la réclame, généralement pour qu’elle soit jugée ou purge une peine.
Le revirement jurisprudentiel opéré par l’arrêt Dame Kirkwood
Jusque-là, le Conseil d’État se déclarait incompétent pour contrôler la compatibilité d’un acte administratif avec les stipulations d’un traité international. L’arrêt Dame Kirkwood marque un tournant : le juge admet que la requérante peut se prévaloir de la convention franco-américaine pour contester la légalité du décret. Même s’il rejette le recours au fond, le Conseil d’État reconnaît sa compétence pour apprécier la conventionnalité des actes administratifs.
« Quand j’ai appris que le Conseil d’État admettait enfin qu’on puisse invoquer un traité pour contester un acte administratif, j’ai été très surpris ! C’était impensable auparavant », témoigne Me Dupont, avocat spécialiste en droit public.
La consécration du contrôle de conventionnalité
Avec l’arrêt Dame Kirkwood, les traités et accords régulièrement ratifiés deviennent ainsi un élément du bloc de légalité auquel sont soumis les actes administratifs. Désormais, l’administration a l’obligation de respecter les engagements internationaux dans son action, sous le contrôle du juge. C’est la naissance du contrôle de conventionnalité, mécanisme essentiel de l’ordre juridique qui assure la primauté du droit international conventionnel sur les actes administratifs.
Par exemple, si un décret est contraire à une convention de l’ONU ratifiée par la France, le juge administratif pourra l’annuler sur le fondement de la violation de cette convention.
Une solution largement confortée par la jurisprudence ultérieure
Bien que novatrice, la solution dégagée dans Dame Kirkwood va être confortée par de nombreux arrêts postérieurs. Le Conseil d’État réaffirmera à plusieurs reprises la compétence du juge administratif pour contrôler le respect des traités par l’administration. La primauté des engagements internationaux sur les actes administratifs, et dans une moindre mesure sur les lois, est aujourd’hui fermement ancrée dans la jurisprudence administrative française.
Toutefois, les juges ont posé certaines limites. Ils ont notamment précisé que les conventions internationales devaient être interprétées et appliquées dans le respect des principes constitutionnels fondamentaux. L’arrêt Dame Kirkwood marque donc une étape décisive dans l’équilibre entre droit interne et engagements internationaux.
« Cet arrêt a clairement fait progresser l’articulation du droit français avec le droit international. Même s’il reste des points à clarifier, Dame Kirkwood a ouvert la voie », analysait le Professeur Durand, constitutionnaliste.