L’arrêt Perreux : une décision majeure du Conseil d’Etat sur l’invocabilité des directives européennes
L’invocabilité des directives européennes non transposées en droit interne est une problématique juridique complexe. Pendant longtemps, le Conseil d’Etat français a refusé aux particuliers la possibilité d’invoquer une directive pour contester un acte administratif, même lorsque le délai de transposition était dépassé. Mais en 2009, l’arrêt Perreux opère un revirement jurisprudentiel majeur sur cette question.
Les faits à l’origine de l’affaire Perreux
Tout commence lorsque Mme Perreux, magistrate à Bordeaux, pose sa candidature pour un poste de chargé de formation à l’Ecole nationale de la magistrature. Sa candidature est rejetée par le garde des Sceaux. Estimant avoir été victime d’une discrimination syndicale, Mme Perreux décide de contester cette décision devant le Conseil d’Etat. Pour ce faire, elle invoque une directive européenne de 2000 qui n’avait pas été transposée dans les délais en droit français.
La jurisprudence antérieure restrictive du Conseil d’Etat
Jusqu’alors, dans un arrêt Cohn-Bendit de 1978, le Conseil d’Etat refusait l’invocabilité des directives non transposées pour contester un acte administratif individuel. Pourtant, dès 1974, la Cour de justice des Communautés européennes avait reconnu l’effet direct vertical des directives dans un arrêt Van Duyn. Malgré cela, le Conseil d’Etat campait sur une position restrictive.
Bon à savoir : Une directive européenne lie les Etats membres sur le résultat à atteindre mais laisse à chaque Etat le choix des moyens pour y parvenir. La transposition consiste pour un Etat membre à intégrer une directive dans son droit national.
Le revirement opéré par l’arrêt Perreux du Conseil d’Etat
Dans sa décision du 30 octobre 2009, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence fondamental. Il admet désormais la possibilité pour un justiciable d’invoquer les dispositions d’une directive non transposée pour contester un acte administratif individuel, si deux conditions sont remplies. D’une part, le délai de transposition doit être expiré. D’autre part, les dispositions invoquées doivent être inconditionnelles et précises.
Ainsi, le Conseil d’Etat se range derrière la position de la Cour de justice de l’Union européenne. Même si en pratique, la portée de ce revirement est limitée, il marque une étape décisive vers une meilleure protection des droits des justiciables et une application plus effective du droit européen en France.
Exemple : Un citoyen pourrait invoquer une directive européenne sur la protection des consommateurs, précise et inconditionnelle, pour contester une décision de l’administration française qui irait à l’encontre de cette directive.
Une solution convergente avec la jurisprudence européenne
Par sa décision Perreux, le Conseil d’Etat pose des conditions d’invocabilité des directives identiques à celles dégagées par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa jurisprudence. En effet, depuis l’arrêt Van Duyn de 1974, la CJUE exige que les directives soient précises et inconditionnelles pour produire un effet direct. Sur ce point, l’alignement du Conseil d’Etat est total.
La portée réelle limitée de ce revirement jurisprudentiel
Certes, l’arrêt Perreux acte solennellement la convergence du Conseil d’Etat avec la Cour de justice sur la question de l’invocabilité des directives. Mais dans les faits, ce revirement n’a qu’une portée limitée sur la protection concrète des justiciables. Car bien avant 2009, le Conseil d’Etat avait déjà admis d’autres formes d’invocabilité des directives pour contester des actes administratifs.
Ainsi, l’arrêt Perreux change plus la formulation du principe que sa portée pratique réelle. Il marque cependant une étape symbolique décisive vers une application plus effective du droit européen en France et un respect accru des droits des justiciables dans leurs rapports avec l’administration.